par Benoit Grenier
Les entreprises québécoises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes, sont de plus en plus exposées à des menaces d’espionnage provenant d’acteurs étrangers. Ces menaces ne sont pas de la fiction, mais bien une réalité tangible qui affecte plusieurs secteurs de l’économie. En tant que consultant en renseignement et contre-espionnage, il est crucial de sensibiliser les départements de ressources humaines (RH) sur les risques associés à l’ingérence étrangère et sur les mesures à prendre pour protéger les informations sensibles dès l’embauche des employés jusqu’à la fin de leur emploi.
Le contexte de la menace : Une réalité en constante évolution
Les services de renseignement étrangers cherchent continuellement à obtenir des informations précieuses sur les innovations technologiques, les processus industriels, et les stratégies commerciales des entreprises québécoises. Selon un rapport du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), ces menaces proviennent principalement de pays cherchant à renforcer leur compétitivité économique en accédant illégalement aux technologies de pointe développées au Canada.
Les entreprises du secteur des technologies de l’information, de la biotechnologie, de l’aérospatiale, et des énergies renouvelables sont particulièrement visées. Cependant, aucune entreprise n’est à l’abri, car toute organisation possédant des informations sensibles ou stratégiques peut devenir une cible.
Les méthodes employées par les acteurs étrangers
Les méthodes d’espionnage utilisées par les acteurs étrangers sont variées et évoluent constamment. Voici quelques exemples concrets pour illustrer la diversité des approches employées :
- Le recrutement d’insiders : Les acteurs étrangers peuvent tenter de recruter des employés de l’entreprise pour obtenir des informations. Ce recrutement peut se faire de manière directe ou indirecte, en utilisant des agents d’influence qui approchent des employés clés lors de conférences, de salons professionnels ou même via les réseaux sociaux. Un exemple notable est le cas d’une entreprise technologique canadienne où un ingénieur a été approché par une « chasseuse de têtes » sous couvert d’une opportunité d’emploi à l’étranger, mais qui était en réalité une tentative de recrutement pour obtenir des secrets commerciaux.
- Le vol de propriété intellectuelle par cyberattaques : Les cyberattaques sont de plus en plus sophistiquées. Les adversaires peuvent utiliser des logiciels malveillants pour pénétrer les systèmes informatiques, comme ce fut le cas dans une entreprise de biotechnologie québécoise où des hackers ont réussi à extraire des données sur un nouveau vaccin en développement. Les attaques par ransomware, où les systèmes sont bloqués jusqu’au paiement d’une rançon, sont également courantes et peuvent servir de couverture pour le vol de données.
- Les partenariats et joint ventures frauduleux : Certains acteurs étrangers établissent des partenariats avec des entreprises québécoises dans le seul but d’obtenir un accès à des technologies ou des processus spécifiques. Par exemple, une entreprise aérospatiale a accepté un partenariat avec une entreprise étrangère pour développer une nouvelle génération de drones, seulement pour découvrir plus tard que leur partenaire transférait discrètement des informations critiques à une tierce partie.
- L’ingénierie sociale : Les techniques d’ingénierie sociale sont souvent employées pour manipuler psychologiquement les employés et les amener à divulguer des informations sensibles. Par exemple, un employé administratif a reçu un appel téléphonique d’une personne se faisant passer pour un membre du service informatique de l’entreprise, demandant des informations d’accès aux serveurs sous prétexte d’une mise à jour urgente.
- La surveillance physique et électronique : Les dispositifs d’écoute ou de surveillance peuvent être installés dans les bureaux de l’entreprise, les salles de réunion, ou même les ordinateurs des employés. Un exemple révélateur est celui d’une entreprise québécoise où des microphones dissimulés ont été découverts dans la salle du conseil d’administration, enregistrant des discussions stratégiques critiques.
- Les attaques par les insiders disgraciés : Un ancien employé mécontent peut être une source de fuites d’informations. Par exemple, un employé licencié d’une entreprise de télécommunications a tenté de vendre des informations sensibles à une entreprise étrangère concurrente, mettant en péril les projets futurs de l’entreprise.
- Le hameçonnage ciblé (spear phishing) : Des courriels apparemment inoffensifs peuvent être envoyés à des employés spécifiques, les incitant à cliquer sur des liens malveillants. Par exemple, un cadre supérieur a reçu un courriel apparemment légitime de son PDG, lui demandant de télécharger un document contenant un logiciel espion.
- Les attaques physiques directes : Parfois, les acteurs étrangers ne se contentent pas de méthodes discrètes et peuvent essayer de pénétrer physiquement dans les locaux de l’entreprise pour voler des équipements, des documents ou installer des dispositifs de surveillance. Un cas de ce genre a été rapporté par une entreprise de haute technologie où des intrus ont été surpris en train de tenter de voler des serveurs.
L’importance de la vigilance dès le recrutement et le rôle crucial des ressources humaines dans la prévention
Les départements des ressources humaines sont en première ligne pour protéger les entreprises contre l’espionnage. Ils ont le pouvoir d’influencer la sécurité dès les premiers contacts avec les candidats et tout au long de leur parcours au sein de l’entreprise. Voici ce que les RH doivent faire pour identifier les menaces potentielles et sécuriser les processus :
- Vérification approfondie des antécédents : Les RH doivent s’assurer que chaque candidat fait l’objet d’une vérification rigoureuse de ses antécédents, surtout pour les postes sensibles. Cela inclut la vérification des qualifications, des expériences professionnelles antérieures, des affiliations politiques ou religieuses susceptibles de poser un risque, et de la réputation du candidat dans ses emplois précédents.
- Entretiens orientés sur la sécurité : Lors des entretiens, il est essentiel de poser des questions spécifiques sur la gestion de la confidentialité et la sécurité de l’information. Les RH doivent évaluer la conscience des candidats face aux risques d’espionnage et leur capacité à respecter les protocoles de sécurité.
- Formation continue sur la sécurité : Après l’embauche, les employés doivent être formés régulièrement sur les risques d’espionnage et sur la manière de les identifier. Cette formation doit inclure des exercices pratiques, tels que la reconnaissance des tentatives de phishing ou des scénarios d’ingénierie sociale.
- Contrats de confidentialité et clauses de non-divulgation : Les contrats de travail doivent inclure des clauses strictes de confidentialité et de non-divulgation qui restent valables même après le départ de l’employé.
- Surveillance et audits réguliers : Les RH doivent collaborer avec les équipes de sécurité pour mettre en place des audits réguliers des pratiques de sécurité et surveiller les comportements inhabituels parmi les employés, tels que des accès non autorisés ou des activités suspectes en dehors des heures normales de travail.
Des mesures à adopter pour sécuriser les informations sensibles
Outre les pratiques RH, les entreprises doivent mettre en place des mesures techniques et organisationnelles pour protéger leurs informations. Parmi ces mesures, on peut citer :
- La segmentation des réseaux informatiques : Pour limiter les risques en cas de cyberattaque, il est recommandé de segmenter les réseaux informatiques afin que l’accès aux informations sensibles soit restreint et surveillé.
- Le chiffrement des données : Les informations sensibles doivent être chiffrées, tant en transit qu’au repos, pour empêcher leur accès non autorisé.
- La sensibilisation continue : Les programmes de sensibilisation doivent être régulièrement mis à jour pour informer les employés des nouvelles menaces et des meilleures pratiques en matière de sécurité.
Conclusion : Un défi à prendre en main dès aujourd’hui
Les menaces d’espionnage industriel et d’ingérence étrangère sont bien réelles et constituent un danger pour les entreprises québécoises. La sensibilisation et la formation des départements de ressources humaines sont des étapes cruciales pour renforcer la sécurité dès le processus de recrutement. En tant qu’expert en renseignement et contre-espionnage, il est de notre devoir de guider les entreprises dans l’adoption de mesures de sécurité adaptées pour protéger leurs actifs les plus précieux.
En prenant ces menaces au sérieux et en adoptant une approche proactive, les entreprises québécoises peuvent non seulement se protéger contre l’espionnage, mais aussi renforcer leur résilience face à un environnement international de plus en plus compétitif.
Liens utiles :
- https://www.canada.ca/en/security-intelligence-service/corporate/publications.html
- Centre de la sécurité des télécommunications (CST) – Cyber menaces
- Gouvernement du Canada – Sécurité industrielle
Ces ressources fournissent des informations supplémentaires sur les menaces d’espionnage et les mesures que les entreprises peuvent prendre pour se protéger.
Enfin, quelques questions critiques pour les Ressources Humaines
Pour assurer la sécurité de l’entreprise, les ressources humaines doivent toujours avoir les réponses à ces questions cruciales :
- L’employé a-t-il des affiliations politiques ou religieuses pouvant poser un risque pour la sécurité ?
- L’employé a-t-il travaillé pour des entreprises ou des gouvernements étrangers ?
- L’employé a-t-il des antécédents de manipulation d’informations sensibles ?
- L’employé comprend-il l’importance de la sécurité des données dans notre entreprise ?
- L’employé a-t-il été impliqué dans des incidents de sécurité dans ses emplois précédents ?
- Les références du candidat confirment-elles sa fiabilité et son intégrité ?
- L’employé a-t-il des relations personnelles avec des personnes ou des entités à risque ?
- L’employé a-t-il accès à des informations sensibles dans ses fonctions précédentes ?
- Les réseaux sociaux du candidat révèlent-ils des comportements ou affiliations suspectes ?
- L’employé a-t-il voyagé récemment dans des pays à haut risque pour la sécurité ?
- L’employé a-t-il été recommandé par une personne ou une entité de confiance ?
- L’employé a-t-il été impliqué dans des litiges ou des controverses concernant des informations confidentielles ?
- L’employé est-il disposé à signer un contrat de confidentialité strict ?
- L’employé est-il familier avec les bonnes pratiques en matière de sécurité de l’information ?
- L’employé a-t-il accès à des réseaux ou des systèmes informatiques critiques ?
- L’employé a-t-il déjà signalé des incidents de sécurité dans ses précédents emplois ?
- L’employé a-t-il été impliqué dans des activités d’espionnage ou de contre-espionnage ?
- L’employé est-il familier avec les menaces liées aux cyberattaques ?
- L’employé comprend-il les risques liés à l’ingénierie sociale ?
- L’employé a-t-il accès à des dispositifs de surveillance physique ou électronique dans ses emplois précédents ?
- L’employé a-t-il des antécédents judiciaires liés à la sécurité ou à la fraude ?
- L’employé a-t-il été soumis à des pressions extérieures pour divulguer des informations sensibles ?
- L’employé est-il familier avec les protocoles de sécurité en cas de voyage à l’étranger ?